Les phénomènes psychiques et psychopathologiques relèvent d'un tel niveau de complexité, qu’ils échappent à un raisonnement de causalité linéaire. Il est vain, et mensonger, de croire et de faire croire, qu’on va tout résoudre grâce à une IRM ou une boite de comprimés.

Je m’appuie ici sur deux essais : Mathieu Bellahsen et Rachel Knaebel (« La révolte de la psychiatrie – Les ripostes à la catastrophe gestionnaire », éd. La découverte, 2020) et Emmanuel Venet (« Manifeste pour une psychiatrie artisanale », éd. Verdier, coll. La petite jaune, 2020).
Après la seconde Guerre Mondiale, en France, s’est développé ce qu’on a appelé la psychiatrie de secteur, qui a remplacé le système des asiles du XIXème siècle. La psychiatrie de secteur s’appuie sur plusieurs grands principes :
- La prise en charge « hors les murs » des patients (c’est-à-dire en dehors des hôpitaux), pour favoriser une meilleure insertion dans la société ;
- L’organisation en réseau, pour assurer une continuité de soins entre le Centre Médical Psychiatrique (CMP), l’hôpital de jour, la prise en charge à domicile…
- Une équipe pluridisciplinaire (psychiatre, psychologue, infirmière, aide-soignante, assistante sociale…) sous la responsabilité d’un psychiatre ;
- L’adaptation aux spécificités géographiques, en fonction du domicile du patient.
Ces deux auteurs soulignent que les premières tentatives de démantèlement de l’organisation en secteur, remontent aux années 1980, principalement du fait de deux causes :
- Une approche inspirée des pratiques nord-américaines, consistant à créer des services transversaux « surspécialisés », qui se focalisent sur un trouble ou un symptôme. On perd alors l’idée de prise en charge « au global » du patient, pour se centrer sur un trouble ou un symptôme particulier.
- La recherche d’une rentabilité des services de soins. On constate même la mise en place d’une sorte de « concurrence » entre la psychiatrie de secteur d’un côté, et les services transversaux surspécialisés d’un autre.
Progressivement, la psychiatrie de secteur devient le parent pauvre du système de santé, puisqu’elle continue de supporter les contraintes inhérentes à son organisation (permanence du soin 24 heures sur 24, prise en charge sans aucune distinction de tous les patients quels que soient leur trouble ou leur pathologie), alors que ses moyens diminuent et que certains patients psychiatriques sont « aspirés » par les unités transversales surspécialisés.
Ainsi, les réformes gouvernementales visent à orienter les pratiques psychiatriques vers « l'expertise » et le résultat à court terme. Cela se caractérise par :
- Le développement des pratiques qui ciblent leurs interventions sur un trouble ou un symptôme ;
- La place donnée à la recherche, dite « scientifique », sponsorisée par les laboratoires pharmaceutiques ;
- L’émergence de thérapies de courte durée, avec une recherche de résultats mesurables rapidement ;
- La mise en place de plateformes d’orientation, dont le rôle n’est pas de soigner, mais de conseiller et d'orienter.
Ainsi, en quelques décennies, on est passé d'une psychiatrie du sujet, à une psychiatrie du symptôme, avec la conviction que le symptôme peut être corrigé, que ce soit par le médicament ou la thérapie.
Dans le même temps, il y a le développement de l'imagerie cérébrale, principalement de l’IRM au milieu des années 1990. L’IRM produit des images qui parlent facilement, à tout le monde ; désormais, une croyance communément partagée est qu’on aurait enfin « accès au fonctionnement du cerveau ». Il y a là un amalgame extrêmement délétère : les troubles psychiatriques tendent à être traités comme des troubles du cerveau. Et dès lors, on voit que tendent à être appliqué à la psychiatrie des outils d’investigation issus de la neurologie (échelles d’évaluation, imagerie, etc.). On parle désormais de « neuro-sciences ». L’objectif recherché est de parvenir à prouver « scientifiquement » le trouble psychiatrique, pour mieux le corriger. Quoi qu’elles affirment, tout ce qu’on peut constater, c’est qu’elles n’y parviennent pas ! Par contre, dans une posture de bluff digne des meilleures parties de poker, elles mettent tout en œuvre pour le faire croire ! En particulier, en dénigrant la cure par la parole qui serait désuète, moins concrète, sans résultat.
La nouvelle neuropsychiatrie a pour objet le cerveau, pour objectif d’améliorer son fonctionnement, pour méthode les outils neurologiques, et pour outil l'apprentissage de compétences cognitives. On est entré dans une logique de « rééducation » : il faudrait apprendre au patient à avoir un fonctionnement efficient. Donc c’est une antipsychiatrie, qui cherche à éliminer tout ce qui n'est pas directement rattaché à notre cerveau (et qui balaie d’un revers de main tous les apports de la psychanalyse). Or, comme le souligne E. Venet, les phénomènes psychiques et psychopathologiques relèvent d'un tel niveau de complexité, qu’ils échappent à un raisonnement de causalité linéaire. Il est vain, et mensonger, de croire et de faire croire, qu’on va tout résoudre grâce à une IRM et une boite de comprimés.
Publié par Mathieu Salsi
Ajouter un commentaire
Commentaires