ADOLESCENCE - La question de l’identité

Publié le 7 avril 2025 à 09:33

Alors que la puberté opère des changements irréversibles sur son corps et sa psyché, l’adolescent cherche à définir son identité et à affirmer « qui il/elle est ».

La puberté est un phénomène physiologique naturel qui caractérise la période adolescente. Les changements physiques sont importants : en un temps rapide, le corps se modifie pour prendre sa nouvelle apparence d’adulte. Ces transformations physiques et physiologiques, notamment le développement de la sexualité génitale, ont des répercussions importantes, et elles peuvent dépasser les capacités de traitement de l’appareil psychique de l’adolescent. Fanny Dargent et Catherine Matha décrivent ce débordement : « De ces tourmentes intérieures, marquées par des vécus d'inquiétantes étrangetés, naissent quelques tensions et afflictions. L’adolescent se voit soumis à des turbulences internes et corporelles qui échappent à sa maîtrise et qui recouvrent une dimension traumatique dont l'intensité ainsi que les capacités à l'élaborer seront variables d'un sujet à l'autre » (in.   Fanny Dargent et Catherine Matha, Blessures de l’adolescence, Paris : Presses Universitaires de France, 2011, pp.91.)

Dans une approche psychanalytique, le concept de pubertaire témoigne de la pression exercée par le réel biologique sur le moi, le surmoi et le ça. Philippe Gutton écrit : « le mot puberté est au corps ce que le pubertaire est à la psyché » (in.   Philippe Gutton, Le pubertaire, Paris : Presses Universitaires de France, 2013, pp. 7). Philippe Gutton ajoute : « le pubertaire advenu est à réfléchir par rapport à son ancrage dans le réel biologique exerçant une pression sur les trois instances et se heurtant à la barrière de l’inceste que l’œdipien infantile légua ». Et cette pression du biologique sur la psyché, se heurte à ce qui a été produit lors de l’élaboration du développement œdipien, à savoir la barrière de l’inceste.

La puberté place de manière inhérente le sujet dans un état de passivité, voire de « passivation » pour reprendre le terme d’André Green (in. André Green, « Passivité-passivation : jouissance et détresse », Revue française de psychanalyse 63, n° 5, 1999). L’adolescent est contraint d’accepter ces changements, et subit d’être placé dans un état de détresse psychique. Il ne peut que reconnaitre son impuissance, et plonger dans un désarroi qui, comme le note Philippe Jeammet, le « conduit souvent à la fuite et l’évitement de ces contacts devenus perturbants, ou à s’enfermer dans le retrait, la raideur, la pseudo-indifférence ou à ‘‘faire la gueule’’ comme solution à cette impossibilité de choisir entre l’envie de se jeter dans les bras du parent comme avant, et celle de s’enfuir dans sa chambre » (in. Philippe Jeammet, Paradoxes et dépendance à l’adolescence, Bruxelles : Fabert, 2021, pp. 12.).

L’irruption pubertaire annonce le nécessaire détachement des parents : l’adolescent doit réinvestir des objets non-interdits. Le détachement des objets parentaux peut être douloureux, comme l’explique Serge Lesourd : « Devoir se séparer des objets d’amour infantiles, les parents, implique, en retour, une difficulté narcissique. Soit l’amour pour les parents persiste, et le sujet se sent alors coupable de ses désirs incestueux infantiles, soit l’amour pour les parents s’étiole et alors, en retour, le sujet perd l’amour de soi qui ne peut plus être nourri par l’amour qui venait des parents » (in. Serge Lesourd, La construction adolescente, Toulouse : Érès, 2007, pp. 81).

Dans cette quête de soi, l’adolescent veut rester le même, tout en devenant un autre, ce qui est une tâche complexe et paradoxale. Catherine Chabert souligne : « Deux positions contradictoires caractérisent l’adolescent : le refus de tout changement de statut dans son mode relationnel et, en même temps, la revendication d’être reconnu comme citoyen à part entière dans le monde des adultes. Le je suis de l’adolescent renvoie donc alternativement à un état passé (rester le même) ou à un état futur (être un adulte) dans un présent non admis comme tel. Le paradoxe est très net : changer tout en restant le même, ce qui témoigne de la nécessité de ne rien perdre » (in. Catherine Chabert, « Chapitre 8 » dans Troubles à l'adolescence dans un monde en changement : Comprendre et soigner sous la direction de Marie Rose Moro, Paris : Armand Colin, 2013, pp. 123).

La construction identitaire, quête d’une place subjective, passe par le façonnage d’un passé sur lequel s’appuyer, comme une sorte de construction autobiographique. Piera Aulagnier indique qu’il est indispensable pour l’adolescent de faire « ce travail de mise en mémoire et de mise en histoire grâce auquel un temps passé et définitivement perdu, peut continuer à exister psychiquement dans et grâce à cette autobiographie, œuvre d’un Je qui ne peut être et devenir qu’en la poursuivant du début à la fin de son existence » (in. Piera Aulagnier, « Se construire un passé : Exposé théorique », Adolescence, n°334, 2015, pp. 713-740). Cette mise en mémoire, sorte de construction ou reconstruction historique, s’impose comme une étape nécessaire de la production identitaire.

L’environnement de l’adolescent joue un rôle de premier plan dans la construction de son identité. Pour Philippe Jeammet, il y a « remise en cause des identifications, et nécessité de les parachever avec leur dimension sexuée nouvelle, qui va mettre à l’épreuve et ébranler les soubassements identitaires du sujet tels qu’ils se sont constitués dans les premières interactions entre le bébé et l’objet maternel. Ébranlement qui va conférer à la relation avec l’environnement immédiat de l’adolescent un rôle déterminant » (in. Philippe Jeammet « Chapitre VI. Évelyne Kestemberg : la métapsychologie à l’épreuve de la clinique adolescente » dans Le tourment adolescent. Tome 2 : Divergences et confluences sous la direction de Philippe Givre, Paris : Presses Universitaires de France, 2010, pp. 219-255).

Et lorsque la réalité interne est perçue comme trop dangereuse, la réalité externe peut prendre la forme d’un « espace psychique élargi » (in. Philippe Jeammet, « Réalité externe et réalité interne. Importance et spécificité de leur articulation à l’adolescence », Revue française de psychanalyse 44, n° 3, 1980). Le rôle de l’environnement, en fonction des situations et des configurations, peut être aussi bien organisateur que désorganisateur.

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